L’investissement responsable à l’heure de la « mainstreamisation »

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Finance Responsable

L’investissement responsable à l’heure de la « mainstreamisation »

  • 13 Février 2023

Temps de lecture : 6 minutes

    La seconde édition de l’ouvrage « ISR & Finance Responsable » vient de paraître. L’occasion pour le coordinateur de cette réflexion collective, Nicolas Mottis (Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable), et Candice Brenet (Head of Sustainability chez Ardian) qui a rédigé le chapitre consacré au Private Equity, de faire le point sur une transfor-mation profonde.

    La « mainstreamisation » de l’ESG, que vous envisagiez il y a une décennie, devient réalité. En huit ans, quelles ont été les évolutions les plus marquantes, notamment dans le capital-investissement ?

    Nicolas Mottis : La finance durable allait-elle rester un placement de niche ou devenir mains-tream ? Notre hypothèse, celle de la « mainstreamisation », s’est effectivement confirmée sur l’ensemble du marché financier. L’évolution la plus significative, à mes yeux, est celle des attitudes, du comportement des acteurs. Les réticences de certains financiers lorsque l’on parle d’ISR (Inves-tissement Socialement Responsable), c’est une époque révolue.

    Candice Brenet : Depuis 2008, date à laquelle nous avons lancé le programme Sustainability d’Ardian, le paradigme a changé. L’intégration des enjeux de développement durable dans les in-vestissements s’accélère fortement. Les acteurs ont progressivement vu à quel point la prise en considération des dimensions ESG constituait un vecteur déterminant de création, comme de pro-tection de valeur.

    Les enjeux ESG représentent aujourd’hui 25 à 30 % des questionnaires de due diligence de nos clients, avant la sélection d’un fonds.

    Candice Brenet, Responsable Sustainability, Ardian

    Candice Brenet : Une autre tendance marquante est la professionnalisation des sociétés de gestion et des entreprises autour des enjeux de développement durable à travers une équipe dédiée, une gouvernance, davantage de reporting, etc. Ce mouvement s’est accompagné de la montée en puissance des contraintes imposées par la réglementation sur le sujet. 

    Nicolas Mottis : Je vois deux points de bascule dans le Private Equity. Le premier est lié à la montée en puissance des demandes ESG de la part des Asset Owners. Le second tient au fait que certains acteurs, à l’image d’Ardian, ont créé une dynamique, obtenant aujourd’hui de premiers résultats concrets après avoir mis en place des process. Reste que beaucoup est encore à faire.

    De nombreux progrès sont à réaliser par les dirigeants des entreprises du Private Equity comme dans la prise en compte technique des impacts.

    Nicolas Mottis, Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable

    SFDR, taxonomie… Quelles sont vos attentes concernant la montée en puissance de la réglemen-tation européenne ? Quels défis se posent aux entreprises concernées, et aux acteurs financiers en particulier ? 

    Nicolas Mottis : Aujourd’hui avant tout de la simplicité ! Ma crainte est que l’on soit en train de complexifier la situation. Des enjeux comme par exemple la préservation de la biodiversité ou la réduction de l’impact carbone sont des chantiers prioritaires. La réglementation doit s’assurer que les acteurs consacrent plus de temps aux dimensions opérationnelles qu’aux demandes de repor-ting. 

    Candice Brenet : Certains acteurs du marché ne sont pas transparents sur les sujets ESG et la ré-glementation joue alors un rôle précieux pour apporter de la clarté. Mais je partage cette inquié-tude. Une complexité excessive se révélerait contreproductive. Un autre point à souligner est que les réglementations SFDR et taxonomie ont été pensées pour toutes les classes d’actifs. Le non coté reste aujourd’hui marginal dans les préoccupations des régulateurs, qui n’intègrent pas les spécificités de nos métiers. Les réglementations s’appuient généralement sur une approche sta-tique, délaissant quelque peu la dimension transformative que peut aussi revêtir l’investissement non coté. Le fait que nos investissements soient réalisés sur de longues durées change pourtant radicalement la donne.

    En investissant sur un horizon relativement long, avec un contrôle souvent majoritaire des entre-prises, le Private Equity offre des possibilités réelles de transformation. C’est une classe d’actif qui peut avoir un impact très positif dans les années à venir.

    Nicolas Mottis, Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable

    Candice Brenet : D’autant que le Private Equity a la spécificité d’intervenir sur des entreprises très variées. Si les sociétés de petite taille ont des moyens plus limités, elles sont aussi plus souples, disposent d’une agilité offrant la latitude de faire bouger les lignes, et rapidement. Je pense à l’exemple d’une entreprise italienne qui est parvenue, au côté d’Ardian, à réduire ses émissions de CO2 de moitié en trois ans. Immédiatement après, la direction a mis en place une cellule Innovation qui a intégré les risques Climat et Transition dans les développements de produits et services. 

     

    L’un des principaux risques reste celui du « greenwashing ». La finance durable se traduit-elle aujourd’hui dans les faits ?

    D’une certaine manière, le greenwashing est un peu la rançon de la gloire. Certains acteurs, alors même qu’ils sont peu crédibles sur leurs engagements ESG voient dans la finance durable surtout une opportunité de faire du business.

    Nicolas Mottis, Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable

    Nicolas Mottis : Pour autant, les progrès sont réels, dans toutes les classes d’actifs. Mais les arbres plantés aujourd’hui ne donneront leurs fruits que dans plusieurs années. 

    Candice Brenet : Nous observons une transformation des pratiques, notamment au sein du porte-feuille Secondaries & Primaries d’Ardian. 200 GPs ont répondu à notre questionnaire cette année : 95 % des gérants ont une politique d’investissement responsable, 44 % des GPs disposent d’un Sustainability Officer à plein temps, soit une hausse de 30 points depuis 2016. Parfois les résultats ne sont pas encore là, mais ces chiffres sont sans équivoque. Avec les nouvelles réglementations notamment, les demandes de nos clients sur les produits durables s’accélèrent fortement. Les investisseurs sont attentifs aux classements articles 6, 8 et 9 de la SFDR. Ils commencent à regarder les pourcentages d’alignement à la taxonomie. Nous pouvons l’observer au quotidien : ces leviers ont un impact très concret.

    • 95 %

      des 200 gérants ayant répondu à notre questionnaire ont une politique d’investissement responsable.

    • 44 %

      des GPs disposent d’un Sustainability Officer à plein temps.

    Quels leviers actionner dans les prochaines années, pour permettre à la finance responsable de franchir une nouvelle étape décisive ?

    Nicolas Mottis : Pour ne citer que deux leviers, le premier levier est celui de la formation. Les at-tentes sont là, reste à les convertir. La mise en place d’accompagnements, de formations, de bonnes pratiques, de liens avec la recherche est à cet égard essentielle. Il faut notamment former les personnes de plus de 40 ans. J’ai pu voir à quel point la formation des dirigeants pouvait générer des transformations.

    Le second levier est la régulation. Conçue de manière intelligente, elle doit permettre l’amélioration qualitative et la transparence des informations ESG.

    Nicolas Mottis, Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable

    Candice Brenet : De manière globale, l’enjeu est celui de l’investissement : accepter de consacrer du temps, de l’argent, de l’intelligence et de l’énergie aux sujets ESG. Il faut se méfier de la sur-complexité, sans pour autant croire que la transformation est facile. Des investissements sont im-pératifs pour faire émerger un consensus autour de metrics pertinentes, comparables, intelligibles. Et j’ajouterais que la finance responsable, en parallèle du financement de la transition environne-mentale, a aussi un rôle important à jouer dans la résolution des défis sociaux, en particulier ceux de l’égalité des chances et du partage de la valeur. 

    La finance est un outil. Sa raison d’être est de servir l’économie et les populations.

    Candice Brenet, Responsable Sustainability, Ardian
  • Nicolas Mottis
    Nicolas Mottis, Professeur à Polytechnique, spécialiste de la finance durable
  • Candice Brenet, Head of Sustainability at Ardian
    Candice Brenet, Responsable Sustainability, Ardian