Ardian plaide pour la souveraineté européenne en matière d’IA
Vision de marché, Au sein d'Ardian
Ardian plaide pour la souveraineté européenne en matière d’IA
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09 Décembre 2025
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Real Assets
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Secondaries & Primaries , Infrastructure
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Paris
Temps de lecture : 7 minutes
REPLAY ► Artificial Intelligence for Alternative Investment: AI Sovereignty Edition
Découvrez pourquoi l’infrastructure IA est devenue un atout géopolitique, les risques des dépendances numériques de l’Europe et comment la collaboration public-privé peut accélérer l’innovation.
Les enjeux géopolitiques de l’IA
Les enjeux géopolitiques de l’IA
Dans son discours d’ouverture, Mathias Burghardt, Directeur Général Délégué d’Ardian et CEO d’Ardian France, a décrit la dépendance actuelle de l’Europe vis-à-vis des infrastructures et outils étrangers, en soulignant les conséquences pour l’économie, la géopolitique et la capacité de l’Europe à protéger sa culture et ses valeurs sociales. Il a plaidé pour une approche plus volontariste afin de soutenir l’émergence de champions européens capables de rivaliser avec les entreprises américaines et chinoises.
Il considère que l’UE s’est trop appuyée sur son pouvoir normatif plutôt que de se concentrer sur des investissements massifs dans les infrastructures, la technologie, la recherche fondamentale et l’éducation comme principaux leviers. Il a également évoqué l’épargne des ménages européens, aujourd’hui majoritairement placée en liquidités et dépôts, qui pourrait être réorientée vers des investissements productifs afin de réduire l’écart avec les États-Unis et la Chine.
L’infrastructure de l’IA est aujourd’hui un enjeu géopolitique : celui qui la contrôle façonnera notre culture et nos valeurs.
La conférence a accueilli comme intervenante principale l’une des plus grandes spécialistes européennes de la géopolitique des données, Frédérick Douzet, Professeure de géopolitique à l’Institut français de géopolitique (Université Paris 8), Directrice du centre GEODE et responsable scientifique du projet DATAROUTES, financé par le Conseil européen de la recherche.
Dans la première partie de son intervention, elle a détaillé les dimensions géopolitiques souvent négligées de l’internet et des infrastructures numériques, en partageant ses recherches sur les stratégies d’isolement de l’Iran et sur le contrôle des routes internet par la Russie après la Révolution de Maïdan en 2014. Dans la seconde partie, elle a mis en lumière l’ampleur des dépendances numériques de l’Europe et la privatisation croissante des routes internet par les grandes plateformes, renforçant ces dépendances. Selon elle, l’essor de l’IA générative pourrait accentuer ces vulnérabilités. Elle a plaidé pour une stratégie ambitieuse impliquant des investissements majeurs dans la recherche fondamentale, l’enseignement supérieur, les start-ups et les infrastructures critiques, afin de protéger la souveraineté et les valeurs européennes.
Table ronde I : La souveraineté avant tout ? Repenser la stratégie des centres de données
Table ronde I : La souveraineté avant tout ? Repenser la stratégie des centres de données
La discussion a débuté par une définition de la souveraineté numérique. Michel Paulin, Membre du Board Quandela (leader en photonique quantique) et ancien CEO d’OVHcloud et SFR, l’a définie comme la « liberté de choix » technologique de l’Europe. Henri Verdier, Ambassadeur pour les affaires numériques du gouvernement français, a averti que des pannes ou tensions géopolitiques pourraient rapidement exposer cette vulnérabilité, appelant à diversifier les dépendances cloud.
Gonzague Boutry, Managing Director – Head of Digital Infrastructure chez Ardian, a souligné les atouts du continent, tels que l’énergie propre, une connectivité solide et un écosystème de start-ups dynamique, tout en notant la lenteur des procédures d’autorisation et de lourdes régulations. Michel Paulin a plaidé pour une approche « à l’européenne » fondée sur l’open source et des modèles spécialisés, avec plusieurs champions de l’IA plutôt qu’un seul géant.
Les intervenants ont également évoqué la durabilité et les talents : les innovations comme les GPU à l’échelle de la tranche (wafer-scale) et le refroidissement liquide améliorent l’efficacité énergétique des centres de données, bénéficiant du mix énergétique propre de l’Europe. Cependant, la pénurie de talents persiste, nécessitant un renforcement des filières de recherche et une plus grande participation des femmes dans la tech.
La table ronde s’est conclue sur un optimisme prudent : l’Europe dispose des atouts nécessaires pour une infrastructure numérique souveraine, à condition d’agir collectivement.
Table ronde II : La souveraineté européenne en IA – reste-t-il un chemin possible ?
Table ronde II : La souveraineté européenne en IA – reste-t-il un chemin possible ?
Le diagnostic initial est clair : l’Europe ne rattrapera peut-être pas les États-Unis ou la Chine en termes de taille des modèles d’IA, mais elle peut devenir leader dans leur adoption. Vincent Luciani, cofondateur et Executive Chairman d’Artefact, a souligné que la véritable valeur réside dans l’intégration de l’IA dans l’ensemble de l’économie. Audrey Herblin-Stoop, VP et Head of Global Public Affairs et Communication chez Mistral AI, a ajouté que la compétitivité passe aussi par la préservation de l’influence culturelle et linguistique européenne, l’open source étant un atout stratégique, et a appelé au retour des talents partis à la Silicon Valley.
Hugo Le Picard, chercheur associé au Centre de géopolitique des technologies (Ifri), a expliqué que la « course amont » (cloud, GPU, data centers) exige des investissements massifs et continus, tandis que la « course aval » concerne l’application de l’IA dans l’industrie, où l’Europe reste en retard. Jean-Louis Missika, Senior Advisor chez Ardian, a insisté sur la nécessité d’un financement bien plus important de la recherche, de renforcer les universités et de créer des structures d’innovation type DARPA pour freiner la fuite des cerveaux. Le rapport Draghi, qui recommande 800 milliards d’euros d’investissements annuels, illustre l’ampleur du défi.
Les intervenants ont souligné que l’Europe peut rester compétitive si elle accélère l’adoption, mise sur l’open source, attire les meilleurs talents et prend davantage de risques. Les administrations publiques devraient utiliser l’IA, la régulation doit protéger les données sans freiner l’innovation, et les start-ups doivent générer des revenus issus des marchés publics plutôt que de dépendre des subventions.
Est-il trop tard pour l’Europe ?
Est-il trop tard pour l’Europe ?
En conclusion, Pauline Thomson, Head of Data Science, a souligné que l’ambition européenne en matière d’IA doit être pragmatique et coordonnée, avec des priorités claires : investir dans des infrastructures numériques résilientes, renforcer l’alignement public-privé grâce à des programmes d’incitation pour soutenir la R&D et les infrastructures stratégiques, et développer un écosystème capable de retenir les meilleurs talents.
La souveraineté de l’IA est une stratégie, pas un slogan. Elle exige des choix architecturaux, un capital discipliné et une gouvernance collaborative.
En fin de conférence, Sophie Pedder, du bureau parisien de The Economist, a posé la question que chacun se pose : « N’est-il pas déjà trop tard ? L’Europe peut-elle encore rivaliser dans la course à l’IA ? ». La plupart des intervenants ont reconnu que le chemin serait long et que l’Europe devra choisir ses batailles. Mais compte tenu des enjeux – géopolitiques, technologiques, culturels – il n’y a pas d’alternative que de rester dans la course.
Audrey Herblin-Stoop, VP et Head of Global Public Affairs et Communication chez Mistral AI l’a résumé ainsi : « Oui, nous pouvons gagner – mais surtout, nous devons gagner. Car l’impact de cette technologie est tel que si nous ne le faisons pas, nous ne perdrons pas seulement sur le plan économique – nous perdrons tout. »
Entretien avec Gonzague Boutry, Head of Digital Infrastructure Europe
Q&A with Gonzague Boutry, Head of Digital Infrastructure Europe
Q : Pourquoi la souveraineté numérique est-elle cruciale ?
Gonzague Boutry : L’IA n’est plus seulement un ensemble d’outils ; c’est une infrastructure, un pouvoir et de la géopolitique. La dépendance croissante de l’Europe vis-à-vis des écosystèmes cloud et IA non européens crée une « trajectoire de dépendance » qui pourrait limiter notre autonomie future, avec des implications sur la résilience, la compétitivité et l’application des réglementations.
Q : Quelle est l’ampleur du problème ?
Comme l’a souligné notre intervenante Frédérick Douzet, les flux de données sont concentrés entre quelques acteurs privés. En Europe, environ 70 % des services cloud proviennent de fournisseurs américains, tandis que Nvidia détient plus de 90 % du marché mondial des puces d’IA. Par ailleurs, les tensions géopolitiques, de plus en plus complexes, engendrent de nouvelles vulnérabilités encore inimaginables il y a e dix ans. C’est dans ce contexte que les investisseurs comme Ardian doivent évaluer les risques et opportunités avec une vision de long terme.
Q : Que devons-nous faire ?
D’abord, reconnaître que les infrastructures numériques sont des actifs stratégiques essentiels – une question de sécurité nationale. Ensuite, l’ambition européenne en matière d’IA doit être pragmatique et coordonnée. L’idée selon laquelle nous devrions soit copier le modèle américain ou chinois, soit abandonner, est un faux dilemme. Nous pouvons capitaliser sur nos atouts tout en réduisant nos dépendances. Enfin, la régulation est un atout stratégique si nous l’utilisons pour accélérer l’innovation plutôt que la freiner. L’approche de l’Europe devrait simplement privilégier ce que l’on appelle la préférence européenne. Les décideurs européens devraient promouvoir les ressources nécessaires pour développer des capacités souveraines européennes en matière d’IA, entraîner des modèles de langage ouverts et encourager l’innovation en s’appuyant sur nos talents.