Repenser le monde du travail et la vie professionnelle au lendemain de la Covid-19

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Au sein d'Ardian

Repenser le monde du travail et la vie professionnelle au lendemain de la Covid-19

  • 11 Janvier 2021

  • Talents

Temps de lecture : 10 minutes

    Pendant la pandémie, quiconque travaille dans un bureau a vu son équilibre vie professionnelle/vie privée prendre un tout nouveau sens. Mais les entreprises s’adaptent-elles assez vite pour maintenir l’enthousiasme, l’engagement et la motivation de leurs collaborateurs ?

    Du jour au lendemain, l’apparition indésirable de la Covid-19 a changé la façon dont beaucoup d’entre nous vivent et travaillent. À ce stade, des inconnues pèsent sur l’évolution des crises sanitaire et économique, ainsi que sur les changements de mentalités qui en découleront. Il existe, néanmoins, une certitude : le monde des « travailleurs du savoir » habitués à travailler à plein temps dans des bureaux a probablement changé pour toujours. Pour réussir à sortir de la pandémie actuelle, les entreprises devront entretenir les compétences numériques, cognitives, sociales et émotionnelles de leurs collaborateurs, ainsi que leur adaptabilité et leur résilience. Comment s’en sortent les collaborateurs face à cette étrange évolution de leur façon de travailler ?  
    En matière de développement de talents, de nombreuses entreprises estiment qu’une difficulté particulière se pose pour leurs plus jeunes collaborateurs.  Si nous savons que les plus âgés sont exposés aux risques les plus élevés de la maladie, les jeunes pâtissent de certains dommages collatéraux, notamment en matière d’emploi.  
    Cependant, ce n’est pas la perte d’emploi qui pose problème – jusqu’à présent, les effets préjudiciables ont proportionnellement eu plus d’impact sur les cols bleus que sur les cols blancs. Ceux qui conservent leur emploi peuvent être affectés par la nouvelle normalité : le télétravail.  

    Des occasions manquées 

    Récemment interrogé par l’auteur dans le London Times, Sir Howard Davies, Président de la banque britannique NatWest (RBS) a déclaré à propos du télétravail : « C’est le manque de structure du contact humain qui m’inquiète. Cet automne, nous poursuivons nos recrutements de diplômés, mais ce sera difficile pour eux comme pour nous – comment se connaître mutuellement s’ils ne viennent quasiment jamais au bureau ? Ce qui me préoccupe concernant le télétravail c’est la difficulté qu’il pose en termes de capital social. Les potentiels prometteurs ne seront pas remarqués, des promotions seront manquées. » Sir Howard a reconnu avoir lui-même été un peu déconcerté à passer des décennies à se lever pour immédiatement enfiler son costume-cravate.  Aujourd’hui, à l’exception de son bureau personnel, il n’a nulle part où se rendre la plupart du temps.  
    Nous avons échangé avec un avocat, plutôt qu’un banquier, pour connaître son ressenti. Ce juriste de 27 ans - qui préfère garder l’anonymat– travaille au sein de l’un des cabinets juridiques de Magic Circle, à Hong Kong puis, maintenant, à Londres. Il porte un regard mitigé sur les huit derniers mois.  
    « La première vague et le confinement à domicile se sont bien passés » dit-il. « Les temps de trajet ne me manquaient vraiment pas. Mais la deuxième vague commence à me poser problème. Ça devient trop long. Je pense que c’est différent pour les personnes de ma génération : célibataire, sans enfant ni beaucoup d’espace chez soi. Je n’ai pas d’extérieur, et travailler dans la cuisine et même la chambre me pèse au bout d’un moment. Ceci dit, j’ai eu la chance de pouvoir aller chez mes parents, dans le Devon. 
    « Je mourrais heureux si je n’avais pas encore à m’enregistrer pour un nouvel appel Zoom. Au bout de 5 appels par jour, ça devient agaçant. Je suis rassuré car je suis déjà dans l’entreprise et que je gravis les échelons, avec un salaire très attractif. Mais pour les nouvelles recrues, ça doit être très étrange de n’avoir jamais vraiment mis les pieds au bureau.  
    « Beaucoup de mes contacts sociaux étaient au travail et maintenant nous ne pouvons plus décompresser ensemble autour d’un verre après notre journée de travail. Il n’y pas de frontière claire entre le travail et la maison ».
     

    Le facteur critique qui distinguera les entreprises dans la guerre des talents, notamment pour les Millennials, réside dans l’intelligence de leur adaptation.

    Bruce Daisley - ex PDG EMEA de Twitter

    La fin de la semaine de cinq jours au bureau  

    The Lawyer, revue très prisée des professionnels du droit, a récemment réalisé une enquête auprès de 1 200 de ses lecteurs dans toute l’Europe. Si moins de 3 % des sondés se disent heureux de ne plus avoir à retourner du tout au bureau au terme de la pandémie, 84 % des sondés expriment leur désir de venir au moins un jour par semaine. Néanmoins, il est également clair que l'époque où tout le personnel souhaitait être présent au bureau cinq jours par semaine est désormais révolue. Moins de 3 % des sondés souhaitent venir une semaine entière (du lundi au vendredi) à l’avenir. L’option privilégiée est celle de deux à trois jours (plus de la moitié des sondés).  
    Ce qui était marquant c’est que le bureau manquait beaucoup à certains collaborateurs. Il s’agissait des jeunes de la profession - stagiaires, les apprentis juristes et les assistants juridiques – qui profitent des interactions avec leurs mentors et responsables. Notons que même eux ne veulent pas se rendre au bureau cinq jours par semaine – ni quatre d’ailleurs. Près de la moitié est favorable à deux ou trois jours par semaine, et pour près d’un quart une journée par semaine ou moins suffit. Leur hiérarchie pourrait ne pas être d’accord.  

    S’adresser à une foule de regards vides  

    Vice-Président EMEA de Twitter jusqu’en début d’année, Bruce Daisley est l’auteur du best-seller The Joy of Work. « Le facteur critique qui distinguera les entreprises dans la guerre des talents, notamment pour les Millennials, réside dans l’intelligence de leur adaptation. Vous devez pouvoir créer un lien avec vos collaborateurs de diverses manières. Le télétravail en est une. Ceux qui pensent qu’il suffit d’un échange ponctuel au cours duquel les dirigeants s’adressent, toutes caméras éteintes, à 2 000 collaborateurs de l’entreprise, rateront le coche. Ils s’adresseront à une foule de regards vides, de moins en moins engagés et connectés. Les entreprises intelligentes et enclines à investir leur temps différemment prennent des initiatives : organiser des échanges réguliers entre dirigeants et 5-6 nouvelles recrues lors de réunions personnelles en petit comité en est un bon exemple. Autre option sensée : suivre l’exemple de Microsoft avec son logiciel Teams et introduire un « trajet virtuel » (digital commute). Mais à vrai dire, je pense qu’il est impossible que les collaborateurs âgés de 30, 40 et 50 ans veuillent revenir travailler cinq jours par semaine – ils ont goûté à une nouvelle façon de vivre et à un nouvel équilibre ».  
    Rhian-Anwen Hammill a travaillé dans une banque d’affaires avant de devenir chasseuse de têtes dans les services financiers, puis coach exécutif spécialisée dans le secteur des entreprises familiales et des family offices. « Si le télétravail se poursuit indéfiniment » prévient-elle « cela peut être destructeur pour les jeunes. À court terme, les Millennials ont tendance à être souples et à bien s’adapter – beaucoup sont retournés au domicile de leurs parents, plus spacieux.  Mais les niveaux mesurables d’engagement vis-à-vis de la société seront déterminants. Les dégustations de vins via Zoom étaient intéressantes pour garder le moral mais, maintenant, on a dépassé ce stade. Il sera de plus en plus difficile de maintenir la proximité et la motivation ».
    Selon Rhian, la situation actuelle des jeunes professionnels n’a rien à voir avec celle d’il y a 30 ans. « Les jeunes ne sont plus les mêmes que lorsque j’ai intégré Goldman Sachs, après l’université. Tous les jours, je mettais ma casquette de professionnelle et je jouais mon rôle. Aujourd’hui, ils veulent être importants et écoutés dès le premier jour ; ils sont moins enclins à adhérer passivement à une culture d’entreprise. Ils sont plus versatiles : au travail, tout doit bien se passer pour eux, et inversement. On assiste à un regain de démocratisation dans le monde du travail. L’entreprise emprunte les talents pour un temps, avant qu’ils ne partent ailleurs ». 
    Cependant, elle ne pense pas que tout soit perdu dans le contexte imprévisible et évolutif que nous connaissons.  « Ils sont également capables de créer une bien meilleure connectivité digitale que ma génération. Même mes enfants [âgés de 13 et 11 ans] peuvent nouer des amitiés dans le monde virtuel. Je ne m’inquiète pas trop : ils peuvent être plus résilients que nous le pensons ». 

    On y a aussi beaucoup perdu : la rencontre fortuite de deux esprits au détour d’un couloir ou d’un ascenseur qui devient source de créativité.

    Tim Johns - consultant en Leadership

    Le télétravail à (presque) plein temps n’est pas viable  

    Parvenir à maintenir sa culture – ce lien invisible qui unit les entreprises – durant la crise de Covid-19 est un problème épineux. Il va sans dire que pour Sergio Ermotti, PDG sortant d’UBS, « 85 % de collaborateurs en télétravail n’est pas une situation viable » pour des banques comme la sienne. Il en va de même pour Jamie Dimon, PDG de JP Morgan Chase, qui a déclaré lors de la conférence Sibos en octobre : « Il y aura du télétravail permanent, des rotations constantes, trois jours sur cinq au bureau, quelque chose comme ça. Je ne pense pas que cela concernera 100 % des effectifs, mais plutôt 20-30 %, et cela doit fonctionner pour l’entreprise et les clients. Il ne s’agit pas uniquement de savoir si cela nous convient à nous, en tant qu’employés ». Le message est clair : il veut que la plupart des collaborateurs reviennent au bureau, à la tête des troupes ou dans les rangs.  
    Si une culture d’entreprise doit s’imprégner du passage du temps et incarner l’exemple à suivre, il est probable que les nouvelles recrues et les jeunes collaborateurs ne parviendront pas à l’assimiler. Faire partie d’une équipe est une chose, mais, plus généralement, la santé mentale de la population au sens large est mise à l’épreuve par une actualité qui reste irrémédiablement négative. 
    Lors d’un entretien avec la BBC, Steven Taylor, auteur de The Psychology of Pandemics et professeur de psychiatrie à l’University of British Columbia, déclarait que « pour une minorité malheureuse de personnes, peut-être 10 à 15 %, il n’y aura pas de retour à la normalité », en raison de l’impact de la pandémie sur leur bien-être mental. En Australie, le Black Dog Institute, un organisme de recherche indépendant sur la santé mentale, a également soulevé des inquiétudes concernant « une minorité significative qui souffrira d’anxiété sur le long terme ». 
    Tim Johns a travaillé pour Unilever, BT (ex British Telecom) et la chaîne de supermarchés Sainsbury’s. Actuellement consultant en leadership, il a rédigé un ouvrage pendant le confinement, intitulé Leading From Home: The Legacy of Lockdown. 
    « Difficile de s’en souvenir, mais avant la Covid-19, de grandes pressions s’exerçaient sur l’avenir du travail » dit-il « la Covid-19 en a provisoirement masqué certaines. La culture du bureau était loin d’être parfaite avant la crise : de longs trajets, le présentéisme, les réunions, la concentration sur les résultats et non sur les effets, une culture en silo. J’ai fréquenté des bureaux sur plusieurs continents : ils étaient tous pareils et, selon moi, tous coupables des mêmes défauts ». Selon John, les employeurs doivent s’efforcer de comprendre la culture du travail à domicile et être arrangeants.   
    « On y a aussi beaucoup perdu : la rencontre fortuite de deux esprits au détour d’un couloir ou d’un ascenseur qui devient source de créativité. Le télétravail accroît aussi l’anxiété de ratage (Fear Of Missing Out, FOMO). Le réseautage naturel a désormais quasiment disparu ». Il souligne que sa fille, qui partage son appartement avec un collaborateur du Ministre de la Défense, doit sortir de la pièce lors de visioconférences sensibles. Mais, dans l’ensemble, il se montre optimiste : « Personne ne retrouvera un travail 100 % au bureau, qui dans le pire des cas, pourrait être assimilé à une « incarcération de masse ». Les collaborateurs qui feront preuve de souplesse et d’adaptabilité s’en sortiront, et les jeunes sont généralement doués pour cela.  
    « Chez Ardian, nous croyons fermement à la valeur apportée par les jeunes générations », déclare Jérémie Delecourt, Membre du Comité Exécutif et Responsable Corporate et Développement international d’Ardian. « Toute notre équipe est devenue encore plus unie pendant la crise – nous n’avons fait qu’un pour relever le défi. Beaucoup se demandent comment les entreprises vont gérer le phénomène du télétravail après la pandémie. C’est une question à laquelle nous réfléchissons beaucoup car la Covid-19 a changé, probablement pour toujours, nos attitudes et comportements ».

    Chez Ardian, nous croyons fermement à la valeur apportée par les jeunes générations.

    Jérémie Delecourt - Membre du Comité Exécutif et Responsable Corporate et Développement international d’Ardian